Monolithes
Avec cette première exposition à la galerie, Juliette Agnel nous convie à une exploration de fabuleux espaces ouverts sur l’inconnu. L’aventure photographique y est existentielle, à l’affut de paysages extrêmes, qui sont pour elle l’outil d’un « déchiffrement primitif ». Il s’agit par là de capturer des forces telluriques ou primaires — celles de la nature en mouvement — afin de se dessaisir de ce qui rassure, au plus près d’un bouleversement des sens. Cette considération intensive du paysage la mène toujours plus loin : du pays Dogon à la Corée ou à l’Islande ; et plus récemment en Andalousie, au Soudan, au Groenland, et au Maroc. L’appareil enregistre ces contrées, par la photographie et l’image-mouvement, avec une sensibilité qui sollicite le potentiel de visibilité de territoires à forte concentration énergétique.
Le voyage de cette exposition commence au centre de la Terre, dans la Géode de Pulpi, située en Espagne, dans la province d’Almería. Elle n’est autre qu’une cavité rocheuse pénétrable, aux parois tapissées de cristaux de sélénite, autrement dit, de gypse. Ces cristaux, transparents et géométriques, sont dissimulés dans les profondeurs terrestres depuis des milliers d’années. Les grottes, renvoyant aux plus lointaines origines et aux matières premières fondamentales, ont toujours exercé sur l’artiste une immense force d’attraction, mais il faut saisir précisément l’enjeu : l’immersion spéléologique n’a de sens que si le regard se porte en même temps vers le haut, en un appel des astres qui y répond. La logique de verticalité (du très bas vers le très haut, et vice-versa), est en réalité un axe heuristique : dans les deux cas, Juliette Agnel regarde l’immensité les yeux dans les yeux, du chaos primordial au cosmos infini. Dès lors, si ses Nocturnes révèlent une voute céleste inaccessible, sa récente série des Silex renvoie aux pierres millénaires que l’on peut récolter ici-bas : l’œil et la main épuisent les possibles de ce qui ne peut être directement atteint.
L’observation est tout autant naturelle qu’archéologique, car ce sont aussi les paysages témoignant des civilisations disparues qui l’ont attiré, en 2019, dans les vestiges du royaume soudanais nubien. C’est lors de ce voyage que Juliette m’envoyait ce message : « J’attends Méroé. Comme si c’était l’arrivée à l’Atlantide. J’ai descendu des marches jusqu’aux tombeaux des rois et reines. J’ai vu dans la pénombre des peintures représentants les pharaons. Et toujours au plafond des tombeaux, les étoiles, la vie glorieuse d’après la mort. Mais, comment comprendre cette civilisation, comment l’inventer ? Comment comprendre la forêt de colonnes entre lesquelles on ne peut pas passer ? Quelles sont les traces du sacré, quelles formes prennent-elles ? » Ces questions restent sans réponse, mais les images les transcendent. Arpentant le site de Méroé, Juliette Agnel adopte la même posture que lors de sa découverte des Portes de glace au plein cœur du Groenland : toujours, traverser l’inquiétante étrangeté, le regard appareillé, afin de nous éveiller à une mystique universelle.
Citations de Juliette Agnel.
Texte par Léa Bismuth.
Léa Bismuth est critique d’art et commissaire d’exposition indépendante. En 2022, elle participera notamment à une résidence collective autour de l’imaginaire spatial, à Marfa, Texas, avec la Villa Albertine.
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